Violences sexuelles: démarches et recours légaux

Violences sexuelles: démarches et recours légaux

Échange avec Carine DIEBOLT, avocate au pénal et membre la CIIVISE.

Carine DIEBOLT, avocate au pénal, membre de la CIIVISE (commission indépendante inceste et violences sexuelles faites aux enfants) a accepté de m’apporter des informations claires, concrètes et professionnelles lors d’agressions sexuelles/viols. Ces informations concernent tout type d’agressions sexuelles.

Cette avocate expérimentée œuvre activement sur des affaires de violences sexuelles, avec la volonté de faire évoluer la loi en faveur des victimes; l’affaire Pontoise qu’elle défendit, permit de faire changer la loi sur l’âge légal de non-consentement sexuel:
(Un homme de 28 ans a été condamné pour avoir eu des rapports avec une fillette de 11 ans. Ce dernier soutenait qu’elle était consentante.)
Grâce des connaissances pluridisciplinaires (= neurobiologie, mécanismes des trauma, phénomènes de sidération et de dissociation, etc.) Carine DIEBOLT a pu démontrer la contrainte vécue par la fillette et prouver la culpabilité de l’accusé.

1) Quelle démarche à suivre après avoir été victime d’une violence sexuelle ? Notamment après un viol ?

Il convient de distinguer les situations d’urgence (si les faits viennent d’être commis) et les autres.
En cas d’urgence, il faut appeler la police ou se présenter au commissariat au plus vite. Appelez le 17 ou le 112.

En dehors des situations d’urgence, une victime de violence sexuelle peut prendre rendez-vous pour déposer plainte au commissariat avec un policier référent spécialement formé, ou bien signaler les faits sur le portail du gouvernement. Il vous aussi sera proposé un RDV  : https://www.pre-plainte-en-ligne.gouv.fr/.

Toutefois, une victime peut joindre la plateforme de signalements des violences sexuelles et sexistes en ligne : Page d’accueil | Arrêtons les violences. Cette plateforme s’adresse aux victimes, à leurs proches ou aux témoins qui souhaitent obtenir des renseignements, signaler des violences et/ou déposer plainte via un chat (service de messagerie instantanée). On commence à échanger avec des policiers formés qui proposeront un RDV pour déposer plainte dans de bonnes conditions. Les retours des victimes sur cette plateforme sont positifs.

Page d’accueil | Arrêtons les violences LES VIOLENCES SEXISTES ET SEXUELLES SONT INTERDITES ET PUNIES PAR LA LOI

De plus, il y a une évolution dans le dépôt de plainte:
« Monsieur DARMANIN a annoncé qu’il sera désormais aussi possible de déposer plainte chez autrui : un ami, un avocat… sur RDV avec le policier. Cela peut rassurer certaines victimes ».

2) On parle souvent de la « peur des gendarmes » au moment d’aller porter plainte pour violences sexuelles.
Les victimes craignent des remarques désobligeantes, des questions déplacées, pas ou peu d’empathie, ou une remise en question des propos/faits…

a) A-t-on le droit d’être accompagné lors de la déposition ? Si oui, par qui ?
Il est possible d’être accompagné pour déposer plainte, notamment par un avocat. La plupart du temps, les enquêteurs recevront la victime seule pour le dépôt de plainte. La déclaration doit être spontanée et authentique. Dans certains commissariats, on propose aux victimes de rencontrer un psychologue. Ce qui peut aider.

b) A-t-on le droit de refuser de répondre à certaines questions du type « comment étiez-vous habillé »  sans que cela ne soit préjudiciable, par la suite ? D’ailleurs ont-ils le droit de les poser ?
Les enquêteurs peuvent poser les questions qu’ils estiment utiles à la manifestation de la vérité; Il est donc parfois utile de savoir comment la victime était habillée pour comprendre le déroulement des faits, des positions ou des gestes. Toutefois, ces questions ne doivent pas être la manifestation d’une suspicion ou d’un préjugé (« si vous étiez en jupe, vous l’avez bien cherché »).

3) A quel délai peut-on s’attendre en moyenne?

Les délais d’enquête sont très variables. Si les faits sont anciens, l’enquête n’est pas prioritaire. Généralement, on n’informe pas les victimes des avancées de l’enquêtes et elles peuvent se sentir « abandonnées ».

Le conseil que l’on peut donner est de se tenir au courant en contactant l’enquêteur.

S’il s’agit d’un viol, suit une instruction judiciaire qui peut durer plusieurs mois, voire 2-3 ans. Parfois plus, s’il y a plusieurs victimes. En cas de renvoi devant une Cour d’Assises, on attend souvent de 1 à 3 ans après la fin de l’instruction, pour avoir une date d’audience.

Les procédures pour agression sexuelle sont plus rapides.

En fait, les délais sont très variables d’une affaire à une autre, d’un tribunal à l’autre.

4) Pourquoi les condamnations pour violences sexuelles ne correspondent pas à ce qui est prévue initialement par la loi (à savoir 20 ans de prison maximum dans le cas d’un viol ?)

Les peines prévues par la loi sont des peines maximales et dans la réalité les condamnations sont moindres. Il est rare de prononcer la peine maximale. Le sursis peut être accordé pour des faits d’agression sexuelle, lorsque les faits sont anciens, uniques, ou en l’absence de risque de récidive (un agresseur très âgé par exemple). C’est le Procureur qui requiert une peine pénale, qui est en charge de l’aspect répressif du dossier.

Il évalue la juste peine selon la dangerosité de l’agresseur et le risque qu’il cause à l’ordre public.

5) Accorde-t-on l’aide juridictionnelle à toutes les victimes de violences sexuelles? Comment se défendre à moindre coût?

L’aide juridictionnelle est de droit pour les victimes de viol, pas pour les agressions sexuelles. De plus, il faut savoir que la somme allouée à l’avocat dans ce cadre est très faible. Elle ne correspond pas à une vraie rémunération; en conséquence, de nombreux avocats la refusent pour ces dossiers qui nécessitent beaucoup de travail ou bien ils l’assortissent d’un honoraire de résultat.

Il existe aussi la protection juridique ou défense recours, contenue dans les contrats d’assurance habitation, voiture… qui prennent en charge une partie des frais d’avocat.

6) Quel est le rôle d’un avocat concrètement ? A quel moment peut-on le solliciter ? Quelles questions mieux vaut-il lui poser ?

Le rôle de l’avocat pour ces dossiers complexes est très important. Il peut intervenir pour conseiller avant même la plainte.
Et dans le cadre de l’enquête, l’avocat n’a pas accès au dossier pénal. Il assiste la victime en premier lieu, si besoin pour déposer plainte et surtout, en cas de confrontation policière puis devant le tribunal, au moment de la constitution de partie civile. A ce moment, il a accès au dossier et peut le préparer avec le client. Les affaires de violence sexuelle sont complexes et nécessitent l’assistance d’un avocat spécialisé dans ce domaine qui défend les victimes.

7) Qu’est-ce qu’un non-lieu et pourquoi le prononce-t-on ? Idem pour un classement sans suite?

Le classement sans suite peut intervenir à la fin de l’enquête, en cas de prescription ou si les preuves sont insuffisantes. C’est le procureur qui décide alors, de ne pas engager de poursuites.

Le non-lieu est une décision du juge d’instruction qui est, généralement, motivée par une insuffisance de preuve à charge, à l’issue de l’information judiciaire.

8) Que retiendra-t-on comme éléments de preuves?

Les preuves peuvent être matérielles:
– certificat médical des UMJ,
– identification ADN,
– analyse taux d’alcool, drogue,
– bornage des portables, échanges SMS et réseaux sociaux,
– expertise des téléphones et ordinateurs, photos, vidéos, enregistrements…

S’ajoutent la présence d’autres victimes,
– les déclarations des uns et des autres,
– les expertises psychologiques et psychiatriques,
– des enquêtes de personnalité,
– auditions des témoins ou confidents,
– éléments du traumatisme, parcours de vie…

Les éléments de preuves sont variables et multiples. . L’avocat les envisage avec la victime. Il faut savoir que l’enquête peut révéler des preuves dont on n’avait pas connaissance au moment de la plainte (autres victimes, visionnage de vidéos pédocriminelles…)

9) Certaines personnes se plaignent de harcèlement de la part de leur agresseur après les faits de violences sexuelles. Quelle est la conduite à tenir dans ce cas ?

En cas de harcèlement, il convient de déposer plainte au commissariat en apportant les preuves du harcèlement :
– enregistrement audio,
– messages, vidéo,
– témoins…
Une enquête est menée, pouvant aboutir à une décision du juge.

10) Y a-t-il une différence entre le viol au sens juridique et un viol au sens morale ? « Céder n’est pas consentir, constitue-t-il un viol? »

En droit, il faut une intention criminelle: l’agresseur a eu conscience que la victime ne voulait pas, mais il est passé outre son refus. Il faut aussi prouver la violence, la contrainte, la menace ou la surprise car on juge les agissements d’un agresseur.

Le fait que l’agresseur insiste, alors que la victime a exprimé un refus constitue un viol, si on prouve les circonstances qui entourent ces actes:
– une autorité sur elle (différence d’âge, fonctions…),
– une situation de contrainte morale ou d’emprise (viol conjugal),
– des menaces,
– un état de vulnérabilité (handicap, alcoolisation, drogue…)
– une contrainte physique (le fait de maintenir la victime, l’empêcher de se libérer)

Je tiens à remercier sincèrement Me Carine DIEBOLT pour sa disponibilité et l’ensemble des éléments de réponses ci-dessus.

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